Don't let me down ¤ Hyuvan

— Allez, montre-nous tes crocs ! Chantonna une voix masculine qui n'avait rien d'amical.

Deux autres loups étaient flanqués de chaque côté de l'homme, deux autres membres du pack qui la fixaient comme une gamine un peu trop stupide à remettre sur le droit chemin – une mission qu'ils prenaient particulièrement à coeur. Ils étaient grands, bâtis entièrement de muscle et la surplombait, elle qui se faisait toute petite derrière son établi. Sur le plan de travail, la jeune femme avait abandonné les herbes qu'elle tranchait afin de les réduire en poudre. Ses mains cachées sous le pan de sa jupe tremblaient.

— T'es une louve ou pas ? Tu fais bien parti du pack, non ? Enfin, c'est ce qui se dit, mais on en a jamais eu aucune preuve, nous...
— Ouaih, qu'est-ce qui nous dit que t'es des nôtres ?
— Elle est pas des nôtres. Regarde-la ; elle est trop faible. Elle tremble.

Trois rires gras éclatèrent.

— C'est nous qui te faisons peur, poupée ?
— Allez-vous en, lâcha la jeune femme d'une voix mal assurée, ses yeux fuyant le contact.

Le plus grand, celui qui ressemblait le plus à un animal sauvage avec ses poils hirsutes qui couvraient la moitié de son visage, se pencha vers elle avec un sourire distordu.

— On veut juste une petite confirmation. Toi aussi tu dois avoir envie de mordre quelque chose, parfois, fit-il d'un ton goguenard en agitant son poignet devant elle, comme s'il s'agissait d'un steak bien saignant.

Hyuna eut la nausée à cette idée et baissa la tête. Elle ne savait pas ce qu'elle leur avait fait pour mériter une telle attention. Tous les jours, elle soignait leurs blessures et celles de tous les loups de la meute, même si elle n'approuvait pas leur conduite. A cet instant, seule et acculée, elle mobilisait tous ses muscles pour ne pas trembler de façon incontrôlable. Elle détestait le conflit. Elle détestait les loups. Elle détestait cet endroit.

— T'as p'tete besoin d'un coup de pouce, suggéra le troisième homme en adressant un regard dégoûtant à son camarade.
— Laisse-nous t'aider, susurra-t-il. 'Parait que la peur, ça motive...

Hyuna vit leurs grandes mains et leur regard sale se diriger vers elle. Elle se recroquevilla un peu plus dans le coin de son atelier, serra les mains contre elle et, sans s'en rendre compte, se mit à hurler.

La nuit n’avait pas été simple. Quelques loups avaient eu des problèmes dans la soirée et Sevan avait dû s’en charger jusqu’à très tard ou plutôt très tôt. Il ne se souvient plus vers quelle heure il avait pu rejoindre son lit mais les rayons du soleil commençaient à se lever quand ses yeux s’étaient enfin fermés. Peu de temps cependant, tout juste l’histoire de quelques heures, assez pour tenir une journée de plus. Une clope en bouche, ses pas lents le traînaient dans le couloir, il avait les crocs. Son estomac vide réclamait un petit truc à se mettre sous la dent, n’importe quoi. Il avait dans l’intention de se rendre jusqu’au bar où il espérait trouver River pour qu’elle lui serve un petit quelque chose, même une bière aurait fait l’affaire pour lui remplir le ventre. La cadence de ses pas ralentit tandis que ses sourcils barrent son visage. Comme un sixième sens, Sevan semble pressentir quelque chose mais est incapable d’en trouver l’origine. Jusqu’à son cri. Hyuna ? Un hurlement qui venait de lui glacer le sang. Figé sur place, les doigts toujours autour de sa clope, sa tête se tourne vers l’origine du bruit. L’atelier qui se trouve à l’angle du couloir. Immédiatement, il fait volte-face et se dirige vers la pièce du fond. Rapidement au seuil de la porte, ses yeux sombres se posent avec froideur sur les trois silhouettes qui font barrage entre lui et la petite blonde. Sa protégée. Les battements de son coeur s’alourdissent tandis que le sang commence à battre ses tempes avec force. La colère qui l’envahit le réduit au silence. Il se contente d’un pas dans la pièce tandis que les loups le remarquent enfin. Deux des membres, surpris par sa soudaine présence, se défilent presque instantanément. Il les laisse passer devant lui sans un mot, ni un geste. Pour l’instant. Le dernier, lui, semble plus tenace et ses doigts crapuleux sont toujours enroulés autour du délicat poignet.

— James.., commence menaçant Sevan.

Hyuna est son point faible. Cette louve transformée par accident n’est pas comme la plupart des gens ici. Elle est douce et craintive. Son caractère aimant a eu raison du coeur de l'alpha. Il a juré de la protéger, et compte bien tenir cette promesse.

— La meute, c’est la famille., balance sèchement Sevan.
— Mais elle n’est pas comme nous ! Tu t’en rends c…

Le bougre n’a pas le temps de finir sa phrase que Sevan l’agrippe violent au niveau de la gorge. Ses doigts se referment sur sa trachée, coupant brièvement sa respiration. Son regard meurtrier se pose sur les prunelles de ce stupide crétin. S’il y a bien une chose qu’il déteste, c’est que les membres du pack s’en prennent à d’autres, encore plus quand il s'agit d'elle. Lui qui s'était tant démené pour en sauver le plus possible, il ne laisserait pas des crétins avides de sang gâcher tout ce qu’il avait construit jusqu'ici. Relâchant sa prise, il entendit l’homme déguerpir mais n’y prêta déjà plus attention. Recroquevillée dans un coin de la pièce, la belle Hyuna tremblait de ton son être. Il s’accroupit près d’elle, mais n’ose pas la toucher.

— Tout va bien, tu n’as plus rien à craindre. Je suis là.

Hyuna avait levé le bras au-dessus de sa tête dans une tentative de protection désabusée lorsque la main de l'homme s'était refermée sur son poignet. Elle avait vu la lueur mauvaise dans son regard, la joie dans son sourire cruel, et son hurlement avait jailli de ses lèvres avant qu'elle ne puisse l'arrêter. La peur l'avait toujours paralysée. Elle n'était pas de celles qui fuyaient, mais plutôt de ces biches qui, prises dans les phares d'une voiture, se condamnaient à voir leur bourreau approcher. Et elle le voyait approcher, sans bouger, trahie par son propre corps. Qu'arriverait-il s'ils la poussaient à bout ? Si la colère et la peur s'emparaient de son cœur ? Est-ce qu'elle se transformerait vraiment en bête ? C'était ça, au final, qui la faisait réellement trembler.

Ses yeux se fermèrent comme une supplique silencieuse lorsqu'un autre bruit de pas surgit dans la pièce. Elle ouvrit une paupière, puis l'autre, le cœur battant. Deux des loups prirent la fuite, puis une voix rauque, chargée de menace, tonne autour d'eux. Sevan ! La surprise et le soulagement peignent ses traits d'une expression figée. Sa famille. Où était sa famille parmi ces loups qui l'avaient pris en chasse ? L'homme ose prendre la parole contre leur chef – sa réaction est immédiate. Sa main jaillit et s'enroule autour du cou sans défense. Tout en lui gronde de rage. Hyuna hoquête et presse ses doigts contre ses lèvres, terrifiée par cette violence qui ne cesse de tapir ses heures. Mais c'est Sevan. Ce n'est pas pareil. Il n'est pas pareil. Bientôt, l'homme relâche sa poigne et son agresseur prit la fuite sans demander son reste. Elle n'a pas conscience de reprendre une respiration qu'elle avait cessé, sa poitrine soulevant d'un rythme rapide. Il s'accroupit près d'elle. Mais pas tout près, et la jolie blonde ne parvient pas à décider si elle en est déçue ou soulagée. La voix de Sevan retentit, rassurante et familière.

— Oui...

Elle se racle la gorge et entoure son corps de ses bras pour calmer les tremblements qui l'agitent encore.

— Ca va, ajoute-t-elle pour tenter de rassurer son chef.

Ou de se rassurer elle-même, elle ne sait pas trop.

— Merci. Tu... Tu m'as entendu ?

Crier, devrait-elle ajouter, mais elle n'ose pas, comme si elle en avait honte. Hyuna avait plus que conscience de sa faiblesse et elle détestait la montrer. Plus encore devant lui... Elle n'avait pas sa place ici. Ces loups avaient eu raison. Maladroitement, la jeune femme se redresse sur ses jambes engourdies et jette un regard autour d'elle. Tout semble si calme désormais. Silencieux. Ses doigts se pressent dans la chair de son bras. Elle a envie de pleurer.

Sevan sent la colère l’animer, mais il ne veut pas se laisser dominer. par cette noirceur. Elle est pourtant l’essence même de son âme aujourd’hui. Plus vraiment humain, pas tout à fait un monstre. Ô combien il aurait souhaité un destin différent à la pauvre enfant devant lui. Hélas, le passé restera inchangé, quoi qu’il en soit. C’est à lui de choisir les actes qui le définissent. Et devant elle, l’image qu’il veut renvoyer n’est pas celle d’un monstre. De toutes ses forces, il laisse ses doigts lâcher la prise sur la chair du loup et le laisse s’en aller, se promettant de le retrouver plus tard et de lui faire comprendre qu’il ne plaisantait pas, lui rappeler avec qui il a voulu jouer. Et perdre. Personne ne touche à Hyuna. Tout le monde connaît la place privilégiée qu’elle a pour lui, et cela depuis dix ans déjà. L’enfant sans défense a grandi dans ses bras et son coeur se serre de la voir si mal à l’aise dans son propre foyer. Lui qui donnerait tout pour la rendre heureuse, la rassurer et faire naître ce sourire qu’il aime tant sur ses fines lèvres.

Les battements de son coeur sont presque douloureux dans sa poitrine de la voir ainsi. Les poings serrés, les jointures blanchi, l’homme se retrouve impuissant face à elle. Immobile et silencieux, Sevan inspecte avec une grande douceur la belle. Ne voulant pas la presser, il se contente de quelques paroles rassurantes, lui offrant l’espace et le temps nécessaire pour se remettre de son émotion. Quand ses frêles bras entourent son propre corps, le chef de meute à l’envie subite de la prendre dans ses bras, de la serrer contre lui et de la bercer au creux de ses bras musclés mais ne le fait pas, à regret. Il ferait tout pour qu’elle se sente en sécurité. La douce s’exprime d’une voix tremblante et le brun pince les lèvres, peiner mais aussi fou de rage de la voir si tourmentée. Il hoche simplement la tête pour répondre à sa question. Il l’avait bien entendu, mais il y avait aussi autre chose. Il l’avait senti en danger, avait perçu que quelque chose n’allait pas.

Suivant lentement les mouvements de la jeune femme, Sevan se redresse au même rythme qu’elle. Un soupir de soulagement se faufile d’entre ses lèvres de voir qu’elle n’a subi aucune violence et peut se tenir sur ses deux jambes bien qu’elles lui semblent instables. Hyuna se recroqueville légèrement sur elle-même dans une posture qu’il ne connaît que trop bien. Il fait un pas de plus vers elle, brisant l’espace entre eux. Délicatement ses doigts se faufilent à travers ses cheveux jusqu’à son visage, l’encadrant délicatement. Posant doucement ses lèvres son front, il ne peut s’empêcher de s’enivrer du parfum de la jeune femme.

— Je suis là. Tout va bien. Je ne laisserais jamais personne te faire de mal. Jamais, promit-il entre deux baisers sur le sommet de son crâne.

­Hyuna inspira longuement. Profondément. C'était sa mère qui lui avait appris cette technique de respiration lorsque sa poitrine s'emballait un peu trop. Petite, cela marchait à merveille, mais elle avait l'impression que c'était sans effet en cet instant... Ou peut-être qu'elle était tout simplement trop perdue pour pouvoir encore se consoler. La jeune louve se força à desserrer ses dents pour ne pas se blesser, mais l'émotion qui l'étreignait se fit encore plus difficile à contenir. Elle avait légèrement baissé les yeux pour ne pas que Sevan la voit ainsi. Même si c'était inutile. Sevan était trop près. Et il la connaissait toujours trop bien.

Ses longues mèches blondes furent poussées sur le côté et le visage doux de l'homme apparu près du sien. A ses yeux, il était ce qu'elle avait de plus cher. Son sauveur. Son chef. Son protecteur. Son... Elle ne savait pas trop. Ne voulait pas chercher à savoir, non plus. Mais elle avait besoin de lui, de sa tendresse, de ses mains délicates sur sa peau et de ses baisers sur son front. Docile, la jeune femme ferma les yeux sous ce geste et prit une longue bouffée d'air. Puis, comme si c'était naturel, comme s'ils l'avaient déjà fait des centaines de fois – n'était-ce pas le cas, d'ailleurs ? – Hyuna se pencha légèrement en avant pour rencontrer son torse se blottir là, deux larmes pures glissant sur ses joues. Elle les étouffa dans le tissu passé de sa chemise et posa ses petits poings contre sa poitrine. Elle avait foi en lui.

— Je sais, répondit-elle d'une voix brisée.

Mais c'était tellement dur qu'il soit l'un des seuls à avoir foi en elle.
Doucement, Hyuna tourna la tête et pressa son front dans le creux de son cou. Son odeur, ses gestes et ses paroles la calmèrent peu à peu. Elle ignora combien de temps elle resta ainsi avant que la gêne ne revienne et qu'elle s'écarte, le regard fuyant. Elle le regretta aussitôt.

— Merci d'être intervenu, souffla-t-elle. Je suis désolée de te causer du soucis...

Ses joues avaient séchées et la peur avait quitté ses yeux, remplacée par une fatigue lancinante.

Malgré la détresse de la jeune femme, l’homme n’avait pas résisté à s’approcher d’elle. Si elle avait besoin de quelque chose à quoi se raccrocher, il serait là. Il serait la bouée qui la sauverait de l’océan dans lequel elle se noyait. Il l’avait toujours été et le serait aussi longtemps que Hyuna le souhaiterait. Doucement, ses doigts effleurent la peau chaude de la louve. Ce contact simple rassure lui aussi l’homme. La douce se laisse faire et se blottit dans ses bras. Le visage enfoui dans son torse, les mains crispés sur le tissu, l’homme a un frisson qui lui parcourt l’échine. Pour accompagner son mouvement, il place une main dans le dos de la louve, lui caressant doucement d’un geste qui se voulait rassurant. Elle était en sécurité près de lui, elle le serait tant qu’il sera là.

Sevan se contente de répéter les mouvements dans le dos de Hyuna. Aucun mot ne s’échappe de sa bouche, ni de celle de la louve. Le seul son que l’on peut distinguer est celui de la respiration de l’homme, qui s’apaise et se mêle à celle de sa protégée. Sa colère et la peur qu’il avait ressentie auparavant se sont dissipés. Il est toujours plus calme quand elle est près de lui. Et sa présence semble aussi bénéfique à celle de la louve. Après un temps incertain, l’homme n’a toujours pas osé bouger, de peur de briser quelque chose. Il apprécie la proximité de la jeune femme mais… cela lui semble aussi dangereux que plaisant. Quand elle s’écarte légèrement, c’est à la fois un soulagement et un déchirement.

— Ne t’inquiète pas pour moi Hyuna. , répond-il en replaçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Tu sais très bien que ce n’est pas un comportement que je peux cautionner.

Encore moins avec elle. Les lèvres pincées, les pensées de l’homme retournèrent quelques secondes vers ceux qui avaient osé s’en prendre à un loup. Sevan n’acceptait pas ça. De n’importe qui, contre n’importe lequel d’entre eux. Il s’était démené pour sauver le plus de personne, il avait pris des décisions pas toujours évidentes avec lesquels il devait à présent vivre. Ce n’était pas pour qu’ils s'entretuent. Bien sûr, ce qui mettait réellement hors de lui le chef de meute, c’était la victime qu’ils avaient choisi. Hyuna. Sa Hyuna. Non, pas la sienne... Mais la louve avait une place particulière auprès de lui que peu d’entre eux avait. Elle était intouchable, et quiconque s’en prendrait à elle en paierait le prix. La jeune femme si douce et calme s'attire souvent les foudres des plus sanguinaires de la bande. Oui. Ils étaient des bêtes, mais cela ne les obligaient pas à se comporter comme tel. Pas chez eux. Pas envers les leurs. Toujours inquiet pour la jeune femme, il laisse des yeux plonger dans les siens. Il l'observe quelques secondes pour déceler un signe de peur ou quelque chose du genre. Pendant que l’incident était finalement clos, il ajoute simplement.

— Tu as faim? Tu veux manger quelque chose ?